Le Portail de l’IE a eu la chance de s’entretenir avec Jean Luc Logel, président du cluster EDEN, seul cluster en France composé uniquement de PME de la défense et de la sécurité. Dirigeant des sociétés CENTRALP et IRIS Inspection Machines, officier de Marine de réserve opérationnelle et président de l’association des officiers de réserve de Lyon, Jean Luc Logel revient sur le parcours, le développement international et les défis de ce cluster atypique, qui est devenu un acteur incontournable dans le soutien de la BITD en France et à l’export.
RENFORCER LES PME DE LA DÉFENSE : NAISSANCE ET DÉVELOPPEMENT DU CLUSTER EDEN
Portail de l’IE:En 2008, dans un contexte de baisse des budgets de la défense, le cluster EDEN était créé à l’initiative de six entrepreneurs rhônalpins, dont vous-même. Qu’est-ce qui vous a motivé à créer le cluster ?
J.-L. LOGEL : Pour nous replacer dans la dynamique de l’époque, nous étions ces quelques entrepreneurs et moi à nous retrouver régulièrement dans les salons internationaux sur des stands appartenant à des organismes différents (la région, les syndicats professionnels…). Nous nous retrouvions avec, en commun, le fait que nous venions de la même région, que nous étions positionnés sur les mêmes marchés, et que nous étions des PME. Ce fut le cas sur Eurosatory, au Bourget ou sur le salon MILIPOL et, à chaque fois, cette coexistence créait une dynamique d’échanges. Nous avons vite réalisé que nous faisions face aux mêmes problématiques pour aborder les marchés en France et à l’export. Nous échangions sur nos difficultés d’entrepreneurs, rompant un peu avec la solitude du dirigeant d’entreprise. Cette effervescence était propice à la construction de stratégies, à la collecte d’informations de nature commerciale ou technique. Cela durait quelques semaines et puis, les contraintes quotidiennes du chef d’entreprise reprenant le dessus, naturellement cette relation pourtant si féconde s’estompait peu à peu. La dynamique cessait pour renaître plus tard lors des salons suivants. Si bien que ces mêmes entrepreneurs ont décidé un jour de la pérenniser et c’est ainsi qu’est née l’idée de créer un lieu d’échange, une association de PME.
Portail de l’IE : La création du cluster EDEN s’est également réalisée à la suite de la remise d’une étude de la CCI de Lyon à la DGA en 2008. Cette étude mettait en exergue l’existence d’un réel environnement des PME de la défense dans la région Rhône-Alpes. Quel rôle ont joué la CCI et la DGA dans la concrétisation de votre projet ?
J.-L. LOGEL : L’étude qu’a souhaitée la DGA en région Rhône-Alpes a été décisive. À l’époque, la région Rhône-Alpes ne se voyait pas elle-même comme une région d’industrie de défense et de sécurité car il manquait des vaisseaux amiraux avec une très forte visibilité, comme il en existe en Aquitaine, par exemple, ou en région parisienne. En revanche l’étude a fait apparaître qu’il y avait en région Rhône-Alpes un tissu de PME sous-traitantes actives sur les marchés de la défense et la sécurité, des sociétés membres de la BITD, possédant de réels savoir-faire, souvent stratégiques. La DGA a même été surprise, à la suite de l’étude publiée par la CCI de Lyon, par l’importance du tissu industriel d’entreprises de défense et de sécurité dans la région Rhône-Alpes. La création du cluster EDEN est donc, à la fois, le fruit de la rencontre entre ces entrepreneurs qui avaient la volonté de travailler ensemble, de cette étude de la DGA qui confirmait qu’il y avait un potentiel réel, et enfin du soutien de la CCI de Lyon qui a joué son rôle de pépinière.
Portail de l’IE :Le cluster EDEN compte aujourd’hui plus de 100 entreprises adhérentes. Au départ cantonné à la région Rhône-Alpes, le cluster s’est élargi aux régions Bretagne, Centre, et Provence Alpes Côtes d’Azur. Il s’agit désormais d’un cluster d’envergure nationale dont le siège se trouve à Lyon. Comment expliquez-vous ce rapide engouement et adhésion ?
J.-L. LOGEL : Techniquement, rien n’aurait été possible sans le réseau consulaire d’une part, c’est-à-dire le réseau des chambres de commerce et d’industrie, et la DGA d’autre part qui possèdent tous deux une vision nationale, une vision que le cluster EDEN naissant ne pouvait naturellement pas avoir. Dès qu’ils ont détecté que des entreprises avaient une démarche similaire à la nôtre dans d’autres régions, ils leur ont présenté le cluster, et rapidement, en Bretagne, Centre et PACA, des PME ont commencé à créer des « clones » d’EDEN. Le pas suivant a été d’en faire une fédération. Il était dommage, à l’âge de la communication digitale, donnant la possibilité de se réunir alors qu’on n’est pas sur un même lieu, de multiplier des échelons associatifs couteux et pas toujours productifs.
Le développement rapide de notre cluster s’explique également par sa nature. EDEN est un cluster de PME voulu, gouverné par des chefs d’entreprise au service des chefs d’entreprise. Il est géré comme une entreprise. Vous savez, une réunion EDEN c’est réellement passionnant parce que nous échangeons sur un peu tout ce qui touche au devenir de nos sociétés. Nous partageons ainsi de manière informelle toutes les préoccupations qui font la vie d’un chef d’entreprise : des problématiques liés au financement à la gestion du personnel, en passant par la relation avec les clients et en particulier les grands donneurs d’ordres, relation qui n’est d’ailleurs souvent pas facile pour une PME. Il est bon de pouvoir partager avec d’autres dirigeants de PME et de réaliser à quel point les difficultés qu’ils peuvent rencontrer sont souvent les mêmes et de voir comment, face à un même problème, d’autres ont trouvé des solutions. Je crois vraiment que ce qui fait l’originalité de notre cluster, c’est le fait qu’il soit venu du terrain, les anglo-saxons diraient « Botton-up ». Ce sont des chefs d’entreprise qui ont décidé d’unir leur destin pour faire des choses ensemble. C’est très différenciant quand vous pensez aujourd’hui à certains pôles de compétitivité, créés il y a une quinzaine d’années, qui, financés par nos impôts, se cherchent un devenir et sont même parfois remis en question. Le budget d’EDEN est principalement composé des cotisations des membres. Cela montre bien qu’il y a non seulement une volonté affichée par les PME membres, mais qu’elles la concrétisent en apportant des fonds pour le développement du cluster.
Portail de l’IE : Il y a 4 000 PME de la défense en France. Le cluster EDEN en compte une centaine. D’autres PME sont-elles vous rejoindre ?
J.-L. LOGEL : Les sociétés qui souhaitent rejoindre EDEN voient leur candidature et leurs motivations étudiées avec attention : on leur demande ainsi de s’engager en payant une cotisation. Il s’agit d’une réelle démarche d’adhésion de leur part. N’est pas membre d’EDEN qui veut. Il y a des conditions : il faut que la société soit une PME, qu’elle soit française et qu’elle partage avec nous une certaine éthique. Il faut surtout que le dirigeant soit dans la démarche de vouloir entrer chez EDEN en apportant quelque chose.
Nous avons l’ambition de croître, nous avons l’ambition de nous développer, mais nous le faisons de façon raisonnée et construite, dans une démarche de long terme. On va à notre pas, et nous sommes assez fiers d’avoir dépassé la centaine de membres. Je ne vous cache pas qu’il y a, en ce moment en France, des associations d’entreprises qui se cherchent un destin et avec lesquels nous envisageons de nous allier. Nous connaissons une croissance raisonnable et elle est, aussi, à la mesure de nos moyens.
Portail de l’IE :Quels sont les avantages que peut espérer une société de défense ou de sécurité en rejoignant le cluster EDEN ?
J.-L. LOGEL : Le plus grand avantage c’est le fait de travailler en équipe, en réseau, avec un échange d’informations : des informations de type commercial, des informations sur la gestion de nos sociétés, sur les bonnes pratiques… Nous organisons régulièrement des réunions entre les sociétés membres qui travaillent dans un même domaine. C’est le fondement de notre cluster et c’est une chose très appréciée des entrepreneurs. Le deuxième atout c’est bien évidemment la mutualisation dans l’effort commercial. Un salon représente un très gros budget pour une PME. Très souvent, elle va limiter son ambition commerciale par faute de moyens. La mutualisation va permettre aux PME de pouvoir faire plus, en France et à l’export. Nous avons la chance d’avoir en France plusieurs salons à vocation internationale dans les domaines de la défense et de la sécurité (Milipol, Paris Air Show au Bourget, Eurosatory, le Sofins…). Nous sommes allés conduire des missions en Amérique latine et en Asie et nous y avons emmené avec nous des PME qui n’iraient pas dans ces salons toutes seules. La mutualisation permet ainsi d’aller conquérir des marchés ensemble et construire par le nombre une crédibilité indispensable pour vendre. De tout cela naissent aussi des projets communs. Des sociétés du cluster EDEN s’unissent pour répondre ensemble à des appels d’offre, ou pour développer ensemble des produits.
Le CLUSTER EDEN, L’INNOVATION ET L’EUROPE DE LA DÉFENSE
Portai de l’IE : La politique de la ministre des Armées, Mme Florence Parly, s’est résolument tournée vers le soutien à l’innovation de défense. Quel peut être l’impact de la création de l’Agence de l’innovation de défense (AID), inaugurée en novembre dernier, pour les PME de défense ?
J.-L. LOGEL : les PME d’EDEN ont vu la création de l’AID d’un très bon œil. L’’innovation est souvent financée par l’industrie de défense, c’est le cas aux États-Unis, c’est le cas en Israël et dans beaucoup de pays industrialisés. Il s’agit donc d’une très bonne nouvelle tout comme la création du fond d’investissement stratégique Def’Invest. Il faut savoir qu’une grande partie du savoir-faire français est dans les PME. C’est justement dans les PME qu’on innove ! Ces deux dispositifs contribueront à maintenir la souveraineté de notre industrie de défense. De plus, la prise de participation d’un fond comme Def’Invest au capital de PME fait figure de validation, par la puissance publique, des plans de développement d’entreprises dans le domaine de la défense. Prenez par exemple une société qui cherche à financer un projet par une augmentation de capital, le seul fait que Def’Invest investisse dans ce projet va le crédibiliser. Ce n’est pas le montant investi qui est important, mais le fait que le ministère (la DGA) fort de son expertise et de sa vision stratégique, y croie. Il s’agit d’un signal fort, d’une reconnaissance du projet de cette PME qui le crédibilise aux yeux d’investisseurs privés qui, eux, ne sont pas des spécialistes de ces marchés. Ces deux initiatives sont donc favorables au financement de l’innovation des PME.
Portail de l’IE : L’innovation est le moteur du développement d’une entreprise de défense. Est- ce que le fait d’être dans un cluster favorise la coopération en matière d’innovation et de R&D ?
J.-L. LOGEL : Oui, tout à fait. Les rencontres régulières entre les membres du cluster leur permettent de mieux se connaître, et, si affinités, de travailler ensemble pour trouver de nouvelles opportunités de collaborations. Par ailleurs, étant partenaire de la DGA, le cluster EDEN porte à la connaissance des chefs d’entreprise l’ensemble des possibilités de financement de l’innovation qui existent- je pense par exemple aux dispositifs RAPID ou ASTRID - et elles sont nombreuses en France. Le problème est que les chefs d’entreprises ne les connaissent pas suffisamment.
Puisqu’on parle d’innovation et de R&D il faut bien évidement citer le Crédit d’impôt Recherche (CIR) qui, dans la durée, a apporté une formidable bouffée d’air tant aux PME qu’aux grands groupes en matière de financement de la R&D.
L’offre de financement est aussi multiple en Europe. Il existe un fonds européen disponible pour les PME, avec la possibilité de monter des projets tripartites dans les pays membres. Il s’agit donc à présent et prioritairement pour les PME françaises de trouver des partenaires étranger pour monter des projets transnationaux.
Portail de l’IE : Comment mener à bien ces projets de rapprochement à niveau européen ?
J.-L. LOGEL : Ce n’est pas évident pour une PME, car il faut trouver des sociétés dans d’autres pays qui ont la même activité ou une activité complémentaire et qui ont un intérêt commun. Je sais que la DGA veut aider les entreprises à le faire. Pour mener à bien des projets à niveau européen, nous nous sommes associés au cluster allemand GSW-NRW, afin d’identifier des partenariats potentiels. Il est clair que sans posséder une bonne connaissance de votre partenaire étranger vous ne pouvez pas vous associer avec lui. Avec ce cluster allemand, nous travaillons ensemble pour identifier les compétences. On peut même imaginer par la suite des croissances externes, des sociétés françaises qui iraient racheter des sociétés allemandes, ou bien des sociétés allemandes qui viendraient acheter des sociétés françaises ou encore la formation de JV. Ce processus contribuera à terme, à la consolidation de l’industrie de défense européenne.
Les programmes européens pour lesquels les grands maîtres d’œuvre industriels (MOI) européens viennent chercher des fournisseurs dans d’autres pays membres représentent évidement des opportunités d’exportations pour les PME françaises. Ils constituent également une menace, car on peut imaginer que ces grands donneurs d’ordres aillent de la même façon chercher des fournisseurs dans des pays plus compétitifs ( en matière de charges sociales en particulier) en Italie, en Allemagne ou ailleurs.
Portail de l’IE : Comment lutter contre cette menace ?
J.-L. LOGEL : Nous en parlons en haut lieu, nous nous efforçons de porter la voix des PME tant à Paris qu’à Bruxelles. Nous œuvrons pour le rétablissement de la compétitivité des PME françaises d’une part et pour leur faciliter l’accès aux marchés européens d’autre part.
DES RELATIONS PAS TOUJOURS SIMPLES AVEC LES GRANDS GROUPES DE DÉFENSE
Portail de l’IE : Quel peut être le rôle de la puissance publique dans le soutien aux PME de la défense ?
J.-L. LOGEL : Cela fait dix ans que le soutien aux PME de défense est affiché comme une priorité par les différents gouvernements successifs. Il s’agissait au départ d’un projet piloté au niveau de la DGA, initié sous Monsieur Hervé Morin, qui s’est ensuite élargi au niveau du Ministère de la Défense avec Monsieur Jean-Yves Le Drian et le Pacte Défense PME. Voulu par Madame Florence Parly, Ministre des Armées, le plan Action PME s’inscrit dans la continuité et le renforcement des mesures précédentes, d’une part avec un rôle croissant des MOI [NDLR : maîtres d’œuvre industriels], mais aussi, en contrepartie, une attention particulière portée aux PME de défense, considérées comme stratégiques, dont on veut favoriser l’existence, la pérennité, ainsi que l’export et l’innovation.
Cette relation entre les PME et les MOI n’est pas toujours facile. Tous ceux qui ont travaillé avec les grands donneurs d’ordre savent que la réalisation des grands contrats est compliquée, que les relations ne sont pas toujours équilibrées, loin de là. Le fait que la puissance publique joue le rôle d’arbitre éventuel dans cette relation peut conduire au rééquilibrage, souvent nécessaire, de la relation PME-MOI.
Portail de l’IE : La création du label « Relations Fournisseurs et Achats Responsables » (RFAR), créé en 2012 par Jean Yves Le Drian, a-t-elle permis de favoriser un nouveau type de relations ?
J.-L. LOGEL : La création de ce label nous nous en félicitons. Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Il y a une compréhension et une prise en compte de ces problèmes au plus haut niveau de l’État, ce qui est une très bonne chose. Il y a des intentions affichées par l’État avec des concrétisations dans des plans d’action qui sont louables, mais l’État ne peut pas tout et, aujourd’hui, il y a encore des comportements à changer et à améliorer chez beaucoup des grands groupes qui travaillent avec les PME. Cela dépasse largement le strict domaine de la Défense.
Il y a en effet une tendance de la part de certains MOI à externaliser toutes les contraintes et les risques attenants aux contrats et à les reporter sur les PME. Certains MOI considèrent souvent les PME comme des sous-traitants plutôt que des partenaires. Par exemple, en comprimant les coûts au maximum et en refusant le partage de marge, ce qui affaiblit les PME françaises. Des efforts sont aussi à faire en matière de respect de la propriété intellectuelle, qui peut aller aux grands groupes au détriment des PME innovantes. Il peut s’agir aussi de contrats complexes dans lesquels peuvent se glisser quelques clauses léonines. Il y a beaucoup à faire et beaucoup à gagner de part et d’autre. Certains MOI comme Nexter, s’efforcent de développer des partenariats de qualité avec les PME qui les fournissent. C’est selon moi la voie gagnante !
Portail de l’IE : Est-ce que ce genre de pratiques est dommageable pour le développement de la BITD française ?
J.-L. LOGEL : Vous savez en France on se plaint de ne pas avoir d’ETI [NDLR : entreprises de taille intermédiaire]. Pourquoi n’avons-nous pas d’ETI ? Parce que nous n’avons pas assez de PME fortes. Dans la chaîne de valeur, les PME françaises sont les parents pauvres, elles ne génèrent pas assez de marge ni de trésorerie, et c’est une des raisons principales pour lesquelles ces sociétés ne passent pas le cap d’ETI. C’est pour cette raison qu’elles n’arrivent pas à croître et qu’on n’a pas, in fine, de champions qui émergent.
Portail de l’IE : Quels sont les autres obstacles au développement des PME de la BITD ?
J.-L. LOGEL : Un obstacle notable est la fiscalité française. C’est avec beaucoup de satisfaction et d’intérêt qu’on a vu le gouvernement actuel adapter la fiscalité avec une convergence vers les 25% d’impôts sur les sociétés à la fin du quinquennat. Je regrette que cela n’ait pas été fait plus vite. C’est ce type de mesures qui donnera de l’oxygène aux PME pour se développer, créer de la richesse et surtout de l’emploi en France.
Portail de l’IE : Par rapport à la France, la relation entre les MOI et les PME est-elle la même en Allemagne ?
J.-L. LOGEL : Pas forcément. Je pense que le problème c’est qu’on ne joue pas assez l’équipe France dans notre pays. En Allemagne et en Italie, en particulier, la culture d’équipe est plus développée, on travaille ensemble. En France, et c’est une différence culturelle héritée de mille ans d’histoire, la relation est plus une relation de suzerain à vassal. Lorsqu’il s’agit de réaliser un offset en Inde par exemple, c’est très compliqué et éminemment risqué pour une PME. Il n’y a pas beaucoup de grands groupes qui accompagnent dans les faits leurs PME à l’international, même s’il y a des exceptions comme par exemple Dassault en Inde. Avec EDEN et avec les groupements de défense comme le GICAT, le GIFAS et le GICAN nous essayons de créer cet esprit d’équipe, nécessaire au développement de la BITD française.
LA CONQUÊTE DES MARCHES EXTÉRIEURS
Portail de l’IE : Quelle est la place des exportations pour les PME de la défense du cluster EDEN ? Quel soutien à l’export est proposé par le cluster et quel rôle jouent les pouvoirs publics, notamment la DGA, dans ce soutien ?
J.-L. LOGEL : Au sein du cluster EDEN nous avons deux axes prioritaires de développement commercial : le développement de l’export et le développement de la dualité [NDLR : Technologies à usage civil et militaire]. L’export est le grand axe de développement stratégique du cluster : nous y passons plus de la moitié de notre énergie. Quand vous regardez le chiffre d’affaires consolidé des PME du cluster, c’est plus de la moitié à l’export. Il s’agit réellement d’un domaine où les PME ne peuvent pas partir seules, il faut les accompagner. Nous le faisons avec Business France, avec les groupements (GICAT, GICAN, GIFAS), avec la DGA, et beaucoup avec les régions. Cette année, avec la région Auvergne-Rhône-Alpes nous sommes allés en Pologne, en Malaisie et en Indonésie. Avec la région PACA, nous avons monté une mission au Canada. Il s’agit de s’appuyer au maximum sur ce qui existe, tant au niveau des régions, de la DGA, que de Business France.
Portail de l’IE : Votre entreprise, CENTRALP, spécialisée dans la conception de systèmes électroniques embarqués, a récemment conclu un contrat en Chine. Le marché chinois est-il source d’opportunités pour les technologies duales ?
J.-L. LOGEL : Le marché chinois de la défense est fermé depuis que le gouvernement français a pris la décision de ne plus vendre de technologies de Défense à la Chine il y a quelques années. Sur la dualité il y a, en revanche, des opportunités. Le marché chinois est un marché de croissance avec près d’un quart de la population de la planète. Il n’est pas possible, pour une société qui veut se développer à l’international, de ne pas le considérer. C’est un marché de croissance, avec ses opportunités et ses nombreuses menaces, dans lequel la stratégie de développement industriel s’inscrit dans la durée sur des dizaines d’années, ce qui n’est pas le cas dans nos pays. La plupart des sociétés occidentales ont une visibilité de 3 à 5 ans au mieux sur leur stratégie. La Chine est un pays où l’on voit à l’horizon 2049. Et, s’il y a des faiblesses passagères, le gouvernement chinois fait le nécessaire pour injecter dans l’économie les fonds qui soutiennent la croissance. La Chine offre actuellement des opportunités de développement que l’on ne rencontre nulle part ailleurs, avec toutefois les risques afférents.
Portail de l’IE : Quelle stratégie adopter pour conquérir le marché chinois ? Quelles précautions faut-il prendre en termes de protection des savoir-faire ?
J.-L. LOGEL : Le marché chinois est un marché difficile. C’est un marché qui requiert énormément d’agilité pour répondre, en termes de services, aux attentes des clients. Donc il faut s’organiser pour être capable d’assurer un service d’une très bonne qualité avec une réactivité très grande. Et si vous ne le faites pas, les chinois chercheront naturellement d’autres solutions pour avoir ce niveau de service.
C’est un marché qui est très friand d’innovation : il faut donc être capable d’en générer sans cesse. Si vous y parvenez, vous éveillez l’intérêt du client et vous le fidélisez. Si vous ne le faites pas, votre produit sera perçu comme moins innovant et il se peut qu’il devienne, du jour au lendemain, disponible en Chine, sous une marque chinoise. Il sera moins cher, et votre offre perdra en intérêt…
C’est un marché complexe dans lequel il faut prendre des précautions. Au début, nous nous sommes fait copier en Chine. Nous ne nous étions pas assez investis, et pensions vendre depuis l’Europe nos solutions en Chine, alors qu’il faut être dans le marché pour être réactif. Si le client chinois est satisfait, il n’y a pas de raisons à ce qu’il cherche à faire revivre le même produit sous une marque différente. Nous avons ainsi décidé de nous implanter en Chine, de réaliser une joint-venture avec un partenaire chinois et puis nous allons très régulièrement visiter nos clients chinois. Nous sommes très présents, je m’y rends moi-même plusieurs fois par ans. Nous nous intéressons à la culture chinoise, nous recevons nos partenaires chinois en France… Cela se travaille dans le long terme !
Portail de l’IE : L’EDEN Day a fêté les dix ans d’existence du Cluster EDEN le 16 novembre à Lyon. Quel bilan feriez-vous des dix dernières années et quelles sont les priorités de développement du cluster ?
J.-L. LOGEL : Nous avons de bonnes raisons d’être satisfaits, car nous avons largement dépassé notre ambition initiale. Nous avions au départ pour seule ambition le développement de nos sociétés.
Nos PME se sont en effet développées. Mais ce bel outil qu’est EDEN est également devenu un vecteur pour porter la voix des PME de défense et de sécurité sur le plan national. EDEN a été largement reconnu. Le cluster est désormais un membre du COFIS, le comité de l’industrie de la sécurité. EDEN a également un siège, aux côtés des grands MOI et du Comité Richelieu, pour représenter les PME au comité de la filière industrielle de défense auprès de la Ministre des Armées.
Nous avons en dix ans beaucoup appris et tiré des leçons de la gestion du cluster, pour être à la fois plus efficaces sur un plan national et pour mieux couvrir l’ensemble du territoire et les régions. Il s’agit, à présent, de capitaliser sur l’expérience acquise, ce qui nous permet de tracer de nouvelles frontières. Nous avons voulu que l’EDEN Day, marquant les 10 ans du cluster, soit l’occasion de fixer un nouveau cap, et il est résolument européen. Le succès des entreprises françaises en Europe nécessite qu’elles soient compétitives, fortes, innovantes et rentables, pour parler d’égal à égal avec leurs partenaires européens. Il en va d’ailleurs à ce titre des entreprises comme des États.Il va falloir, à notre modeste niveau, que nous y consacrions toute l’énergie et tous les moyens nécessaires.