01/04/2016 par Jean-Jacques RICHARD / HAXXOM
Le 19 novembre 2015, soit six jours après les terribles évènements qui ont ensanglanté Paris, le collège du CNAPS demandait « la création d’un métier d’agents de surveillance renforcée », agents qui auraient pour mission d’assurer la protection des « lieux particulièrement exposés ». Ces agents de sécurité d’un nouveau type pourraient, dans des conditions comparables à celles des transporteurs de fonds, être armés.
« Des lieux particulièrement exposés »
Avant de nous poser la question de l’opportunité ou non d’équiper des agents de sécurité d’une arme de poing, je pense qu’il est intéressant de nous arrêter sur le sens « de lieux particulièrement exposés ».
S’il y a encore quelques mois, il était possible d’identifier avec plus ou moins de précision un « lieu particulièrement exposé », cet exercice est aujourd’hui devenu totalement impossible, et ce pour plusieurs raisons.
La toute première des raisons est que les cibles « symboliques » n’existent plus en tant que telles. En effet, comme toute personne dotée d’un minimum d’intelligence, les terroristes chercheront à éviter les lieux ou zones tout particulièrement protégés. Selon moi, la force du symbole est plus dans la façon d’opérer et dans le traumatisme qui sera infligé que dans la cible elle-même.
La seconde raison est que les terroristes djihadistes sont capables de nous frapper n’importe où, et ce sans la moindre dose d’humanité qui pourrait nous laisser raisonnablement penser que tels lieux ou telles catégories de personnes ne seront pas visés.
La troisième raison est qu’il est très probable que dans leurs prochaines actions les terroristes chercheront, comme cela a été en partie le cas le 13 novembre 2015, à être les plus mobiles possible, passant d’une zone à une autre avec beaucoup de rapidité et donc de mobilité. De plus, ils pourront parallèlement chercher à prendre le contrôle de grands espaces clos afin de tenter de désorganiser au maximum les forces d’intervention.
La quatrième raison est que tout rassemblement tel que des manifestations, des hommages, des fils d’attentes sont devenus autant de lieux/zones particulièrement exposés. À ce titre, le déplacement de membres du gouvernement dans les minutes/les heures qui suivent un attentat est de la pure folie pour des raisons que vous n’aurez nulle difficulté à comprendre.
La cinquième raison est qu’il est plus que vraisemblable que les terroristes nous surprendront encore par leur brutalité, mais aussi par leur « sens tactique ».
Vous aurez compris que définir aujourd’hui un « lieu particulièrement exposé » est devenu quasiment impossible, car, depuis quelques mois, la France est devenue sur l’ensemble de son territoire « un lieu particulièrement exposé ».
Le 12 novembre 2015, le Bataclan n’avait pas été considéré comme un lieu sensible par les autorités, alors même que ce lieu avait fait l’objet de menaces. Il en était de même pour le restaurant Le Petit Cambodge, le bistrot Le Carillon, la brasserie La Bonne Bière, le bar La Belle Équipe ou bien encore le bistrot-restaurantComptoir Voltaire. Seul le Stade de France faisait partie des sites sensibles, ce qui n’a pas empêché que trois terroristes se fassent exploser, scellant ainsi les toutes premières attaques kamikazes en France.
Antiterrorisme et sécurité privée
Dans la « guerre » que nous menons contre le terrorisme et que nous aurons à mener encore pendant de très longues années, il ne fait absolument aucun doute que seuls les services étatiques doivent être aux commandes. La moindre forme de privatisation de cette mission régalienne serait une grossière erreur.
Dans ce contexte, il ne faut toutefois pas confondre lutte antiterroriste et prévention et protection. S’il appartient bien à l’État de lutter contre le terrorisme et de nous protéger contre toutes les formes d’actions malveillantes, il sera totalement impossible à l’État de mettre des fonctionnaires de police, des gendarmes ou des militaires devant chaque bar, salle de spectacles, centre commercial, supérette, etc., tous ces lieux qui sont devenus du fait de la menace des « lieux particulièrement exposés ».
Face à la menace que nous connaissons aujourd’hui, la seule présence d’un ou de plusieurs agents de sécurité ne peut en aucun cas constituer un obstacle pour des terroristes déterminés, et ce quels que soient le niveau de formation ou les équipements à disposition des agents.
Pourquoi faut-il armer certains agents de sécurité ?
Dire que les risques auxquels ont à faire face les agents de sécurité dans des lieux recevant du public ou dans des entreprises/sites « sensibles » ont évolué est juste un euphémisme. En effet, s’il s’agissait il y a peu pour un agent de sécurité d’être vigilant, de gérer des flux de personnes, de marchandises, de véhicules, de gérer des situations conflictuelles, d’obtempérer en cas de vol à main armée et d’alerter les forces de l’ordre en cas de difficulté, la situation a aujourd’hui fondamentalement changé.
Si les missions ci-dessus sont toujours d’actualité, les agents de sécurité en ce moment en poste devront potentiellement faire face à des tueurs armés et décidés à faire le plus grand nombre de victimes possible en un minimum de temps, ce qui change considérablement les paramètres du problème. Outre une vigilance accrue afin de détecter les moindres signaux faibles, ces agents de sécurité devront être capables de se protéger et de protéger autrui en cas d’urgence absolue.
Les arguments des détracteurs concernant la mise en œuvre d’une telle mesure sont divers et variés, allant du fait que des agents de sécurité ne constituent pas un maillon essentiel dans la lutte antiterroriste, aux questions de coûts ou de responsabilités pour les donneurs d’ordre ou bien encore aux problématiques de recrutement et de formation. Il ne fait nul doute que ces arguments et d’autres ne peuvent qu’être entendus et traités avec la plus grande attention. Néanmoins, il ne fait aussi nul doute que le métier d’agent de sécurité va profondément changer dans les mois et les années à venir pour répondre à une menace on ne peut plus concrète et effrayante.
Face à la violence des braqueurs de fourgons blindés, le législateur a décidé, voilà plusieurs dizaines d’années maintenant, d’armer les agents de sécurité en charge du transport de ces valeurs. Ce que je puis dire avec certitude, c’est qu’il y aura dans les années à venir moins d’attaques de fourgons blindés et de victimes de ces attaques qu’il n’y aura d’attentats en France et en Europe.
Répondre au niveau de la menace
Lorsqu’une nouvelle menace (tuerie de masse) apparaît, le moins que l’on puisse faire est d’apporter une réponse qui puisse tendre à une certaine forme de proportionnalité. Dans le cas contraire, nous aurons de vrais problèmes sur les plans tactiques, mais aussi éthiques, vis-à-vis de ces agents de sécurité qui sont en première ligne.
Alors, oui, un 357 magnum ou un 9 millimètres n’ont pas des puissances de feu comparables à un AK 47. Mais, il n’empêche que ce type d’armes entre des mains expertes peut permettre de « fixer » une situation et donc sauver des vies.
Face à des terroristes sanguinaires, chaque seconde, chaque minute aura son importance si nous intégrons le fait qu’un AK 47 a une puissance de feu de 600 coups par minute et que le temps moyen d’intervention des forces de l’ordre (primo-intervenants) est hypothétiquement entre 5 et 10 minutes dans une grande ville.
Alors, oui, il va falloir que les sociétés de sécurité s’adaptent et que les donneurs d’ordre assument totalement leur niveau de responsabilité. Oui, il va falloir armer certains agents de sécurité, agents qui devront être parfaitement recrutés, formés et encadrés. Oui, le seul armement de certains agents de sécurité ne constituera qu’une composante de la chaîne en matière de sécurité privée. Oui, des agents de sécurité armés devraient occuper des postes statiques sur des sites sensibles en lieu et place des forces du ministère de l’Intérieur ou des militaires afin que ces femmes et hommes puissent être déployés différemment (renseignement, filatures, analyses, patrouilles en civil, etc.). Oui, certains agents de protection rapprochée en charge de la protection de personnalités « sensibles » devraient être armés, comme cela est le cas dans d’autres pays européens.
Nous pourrons toujours avoir de longs débats politiciens ou philosophiques entre les pour et les contre, parler de privatisation de la sécurité publique, avancer et reculer, etc. Toutefois, nous allons devoir agir vite et avec sérénité et efficacité pour répondre aux terribles menaces qui planent. Il ne s’agit plus d’être pessimiste ou optimiste, car il ne s’agit en tout état de cause que de regarder en face une réalité bien sombre.
Enfin, il nous sera impossible de gagner cette « guerre » contre la terreur, quelle que soit son intensité, si l’État ne s’appuie pas sur l’ensemble des forces vives de la Nation. En l’espèce, les sociétés de sécurité constituent une de ces forces vives qui ont selon moi un rôle très important à jouer.
Mais, plus généralement, nous tous qui aimons notre pays et les valeurs de notre République avons un rôle à jouer. Nous sommes tous des maillons de cette chaîne pour lutter contre le terrorisme au travers de notre vigilance, de notre résilience et de notre volonté de défendre à tout prix nos libertés.