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mercredi

Discours de Florence Parly - Colloque « Ethique de la puissance aérienne et de la maîtrise de l’espace » le 19 octobre 2021 à l'IRSEM

 

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                                                   Paris, le 19 octobre 2021




Général,

Monsieur le directeur de l’IRSEM,

Mesdames et messieurs les officiers généraux,

Mesdames et messieurs,

 

Je suis ravie d’être parmi vous aujourd’hui, pour constater tout l’intérêt que portent nos armées et nos chercheurs à la réflexion dans le domaine de l’éthique.

L’éthique est au fondement même de la raison d’être du militaire. L’éthique guide nos actions pour qu’elles respectent nos valeurs. C’est la boussole qui subsiste lorsque le droit disparaît.

C’est une boussole d’autant plus essentielle que certains champs de bataille ne sont encore que partiellement couverts par le droit international, et je pense notamment à l’espace. Elle est aussi d’autant plus importante à l’heure où beaucoup de compétiteurs stratégiques sur la scène internationale font le choix de s’écarter, de subvertir ou de nier le droit international.

L’asymétrie dans les conflits actuels est aussi une asymétrie éthique. Et au moment même où l’ennemi asymétrique s’affranchit des règles du droit et de la morale, menant une action par nature irrégulière, il pourrait être tentant de répondre avec les mêmes armes, d’en être, en quelque sorte, désinhibés.

Or, il n’en est rien, et il n’en sera jamais rien. Au contraire, il est d’autant plus important pour la France, et pour ses armées en particulier, de réaffirmer son attachement aux principes du droit international et au respect de la dignité humaine, de même que nous ne cessons, sur le plan diplomatique, de faire valoir l’importance du multilatéralisme.

Au passé comme au présent, sur chaque champ de bataille, sur chaque théâtre d’opération, ce que les armées défendent, c’est avant tout la liberté, notre liberté. Et il serait inimaginable de défendre cette liberté si chèrement acquise, notamment par le droit, en trahissant nos propres lois et nos propres valeurs.

Il est donc crucial, pour nous, de suivre scrupuleusement la déontologie propre au métier des armes. Il en va de notre crédibilité et de la légitimité démocratique.

J’en suis convaincue, la façon dont on combat dit beaucoup des valeurs que l’on défend. Et nous pouvons être fiers de la façon dont nos militaires combattent. Nous pouvons être fiers de la façon dont l’armée de l’air et de l’espace combat. Et ce colloque est une illustration de la volonté qu’ont nos forces armées d’être exemplaires et de se remettre en question à mesure que le monde et les armements évoluent.

Au cœur de l’essor de la puissance aérienne, il y a toujours eu la question de l’éthique. Les combats d’aviateur à aviateur menés dans les cieux par les As de la Première Guerre mondiale ont rapidement laissé place aux bombardements dévastateurs comme celui de Dresde en 1945, sans parler des attaques atomiques de Hiroshima et de Nagasaki.

La supériorité aérienne est si essentielle pour contraindre l’adversaire qu’elle a conduit en quelques décennies à une véritable course à l’armement aérien et à la performance des équipements.

75 ans séparent le premier avion de chasse Morane-Saulnier du Rafale, et quelle révolution entre les deux !

Aujourd’hui, chaque aviateur est ultra-connecté et dispose d’une capacité de feu inégalée, à des distances toujours plus importantes qui bouleversent les tactiques et même la stratégie militaire.

Mais fort heureusement, ce développement continu de puissance s’est aussi accompagné d’une maîtrise croissante de ses effets : la précision métrique est désormais la norme, le ciblage s’est perfectionné et les règles d’engagement adaptées à la situation opérationnelle et à l’objectif politique sont désormais inculquées au plus tôt dans la formation des équipages.

Il est essentiel que nous poursuivions dans cette voie. La France a fait la démonstration, en particulier pour l’arme aérienne, que l’émergence de nouvelles technologies et l’intégration poussée de l’innovation pouvaient être tout à fait être mises à profit de ses armées pour en assoir la supériorité opérationnelle, tout en restant totalement fidèle à ses valeurs. A l’inverse, d’autres puissances, qui bénéficient pourtant des mêmes avancées technologiques, n’ont pas voulu en intégrer les bénéfices et continuent d’agir par la force sans aucune dimension éthique ou morale. L’image des bombardements observés en Syrie illustre ce décalage dans les modes de combats. L’éthique dans la guerre est bien une question de volonté nationale.  La voie tracée par la France doit être poursuivie fermement, mais sans naïveté. Le débat sur l’éthique doit être porté en pleine conscience de ce qu’il induit pour nos armées face à des compétiteurs stratégiques désinhibés.

C’est dans ce contexte que j’ai souhaité doter le ministère des Armées d’un comité d’éthique de la défense. Ce comité, composé de 18 personnalités civiles et militaires, officiellement lancé en janvier 2020, est compétent pour traiter des questions posées par les technologies émergentes et leur emploi par l’Homme dans le domaine de la défense. Car aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de combattre sans renoncer à ce que nous sommes. Il s’agit de savoir quelles sont nos principes et nos lignes rouges face à des technologies qui sortiront l’homme de ses limites naturelles, alors que, jusqu’à présent, ces technologies ne faisaient que l’aider à repousser ces limites.

Avec l’apparition et l’emploi des drones armés, la question éthique s’est élargie à l’usage de la puissance aérienne à distance. Dans d’autres armées, cette puissance aérienne est parfois pilotée à plusieurs milliers de kilomètres du champ de bataille.

Sur cette question, la France a toujours eu une position inflexible : lHomme doit toujours rester en totale maîtrise de lusage de la force armée, et cest ce que larmée de lair et de lespace démontre au quotidien en opération au Sahel. La dimension éthique réside aussi dans l’environnement psychologique de nos opérateurs de drones : nos drones armés sont pilotés par des militaires qui sont basés sur le théâtre de l’opération où ces drones sont employés.

Parmi les défis éthiques qui attendent l’armée de l’air et de l’espace, je pense aussi à ceux qui arrivent avec le SCAF. Il ne s’agira plus simplement d’un avion de combat, mais d’un système de systèmes connectés avec plusieurs plateformes en réseau qui donneront une place importante aux technologies dernier cri, notamment l’intelligence artificielle, la connectivité évidemment et la furtivité. Au-delà de la furtivité, il y a aussi la question de l’hypervélocité qui constituera un défi supplémentaire pour garder l’homme dans la boucle.

L’intégration de ces technologies n’est pas une fin en soi mais répond bien à un besoin de supériorité opérationnelle. Demain, des effecteurs à distance démultiplieront notre action aérienne, dilueront notre présence dans les airs, satureront les défenses adverses, allongeront notre capacité de frappe. Mais l’humain demeurera toujours au cœur de sa mise en œuvre et de son emploi. Ce n’est pas incompatible, bien au contraire. C’est même une condition sine qua non de la capacité opérationnelle à bâtir et c’est bien pour répondre à ces questions qui n’ont rien d’évident, que vous êtes réunis aujourd’hui.

Je suis donc ravie de la tenue de ce colloque et j’attends beaucoup des travaux qui seront menés aujourd’hui. Car c’est bien le sens de ce colloque : susciter une nouvelle fois la réflexion, la compréhension des enjeux, leur bonne prise en compte au sein de l’ensemble des constituants de l’arme aérienne mais aussi dans les affaires spatiales.

Alors que nos armées sont fortement engagées et sollicitées pour protéger les Français, prendre du temps pour la réflexion sur l’éthique est salvateur. Ce sont des réflexions qui sont aussi essentielles pour bâtir nos capacités futures que celles qui consistent à optimiser notre efficacité opérationnelle. L’éthique occupe une place de choix dans la check list de la préparation de l’avenir.

C’est aussi un plaisir de constater que ce moment de réflexion ne fait pas dans l’entre soi des aviateurs, des combattants. De nombreux intervenants aux parcours et compétences variées sont présents, des praticiens et des chercheurs de plusieurs disciplines, certains venant de l’étranger. Et je ne peux que vous féliciter de la richesse des débats à venir.

Ce colloque complètera le travail mené par le comité éthique. Comme vous le savez, le comité d’éthique de la défense, unique dans son genre et sans équivalent dans le monde, a déjà rendu deux avis sur le soldat augmenté et les système d’armes létaux intégrant de l’autonomie. Il mène actuellement de nouveaux travaux sur « L’éthique dans la formation des militaires » et « L'environnement numérique du combattant », deux sujets qui « parlent » à nos aviateurs.

Cette étroite collaboration entre le Centre d’enseignement supérieur aérien et l’Institut de recherches stratégiques de l’Ecole Militaire ne peut qu’être bénéfique à l’armée de l’air et de l’espace et à la réflexion éthique au sein de nos armées. Je tiens donc à remercier vivement le général Sabéné et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer pour leur initiative.

Le Centre d’Enseignement Supérieur Aérien a un rôle essentiel pour la formation et à la recherche pour le domaine de l’Air et de l’Espace. A présent qu’elle a pleinement intégré la dimension spatiale, l’armée de l’Air et de l’Espace se doit d’ajuster ses pratiques à l’aune de sa responsabilité dans ce nouvel espace d’affrontement.

Quant à l’IRSEM, l’institut de recherches stratégiques de l’Ecole Militaire, il contribue à la réflexion constante des armées sur l’éthique, entre bien d’autres sujets, à la fois théoriques et géopolitiques, et éclaire la voie.

Le CESA et l’IRSEM, j’en suis convaincue, forment une équipe qui gagne. Une équipe qui saura élever le débat, apporter des réponses aux questions qui émergent et qui saura « faire face » à tous les défis que lavenir nous réserve.  

Je vous souhaite donc de fructueux échanges pour que s’enrichissent toujours les principes éthiques qui font l’honneur de la France.

Vive la République ! Vive la France !


(d'après communiqué de la DICOD)