Le dernier numéro d'AuRArmées (Auvergne-Rhône-Alpes Armées) est à télécharger ici.Ce mois-ci, la lettre de nouvelles s’intéresse à l’engagement des armées en cette fin d’année 2019. Retrouvez également les actualités des armées en zone de défense et de sécurité sud-est en ce mois de décembre, ainsi que notre rubrique « Zoom Opérationnel ».
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Et un article de notre camarade Delphine Deschaux-Dutard, maître de conférence en sciences politiques à l' UGA vient de livrer un passionnant article dans l'excellente revue The Conversation, qui interroge l'avenir de l'OTAN à la lumière de son 70ème anniversaire et des interventions disruptives du président français.
L’OTAN est morte… vive l’OTAN ?
Le 70ᵉ anniversaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), célébré à Londres les 3 et 4 décembre 2019, a été marqué par de fortes dissensions entre les États membres de l’Alliance atlantique. La France en particulier semble avoir renoué avec son rôle de trublion au sein de l’organisation quand le président de la République a estimé peu avant le sommet, dans un entretien accordé au journal britannique The Economist, que l’OTAN se trouvait en état de « mort cérébrale ».
Mais qu’en est-il vraiment ? L’OTAN est-elle en voie d’extinction ? Cette posture critique du président français ne relève-t-elle pas avant tout d’une stratégie politique ?
L’OTAN, un phénix de la sécurité collective
L’OTAN est une alliance militaire, soit une communauté d’États qui se réunissent pour faire face à des menaces qui pèsent sur eux en vue d’assurer leur sécurité collective. Née pendant la guerre froide suite à la signature du Traité de Washington (4 avril 1949), elle visait à l’origine à répondre à la menace conventionnelle soviétique. Depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN demeure la plus grande organisation militaire du monde, forte de 29 États membres et totalisant près de 70 % du budget militaire mondial. Elle a connu une transformation profonde à travers un élargissement géographique (en intégrant un grand nombre d’anciennes républiques soviétiques) et une globalisation de ses missions qui l’a conduite à intervenir dans nombre de conflits armés contemporains (notamment au Kosovo, en Afghanistan et en Libye). Elle a également, depuis une décennie, largement investi le cyberespace, conçu comme le cinquième espace de conflictualité (avec la terre, la mer, l’air et l’espace), faisant de la cyberdéfense l’une de ses priorités.
Pour autant, la question de son bien-fondé a été régulièrement soulevée ces trois dernières décennies. Dans les premières années qui ont suivi la fin de la guerre froide, l’OTAN était perçue comme une nécessité par les États-Unis, qui ne voulaient pas être mis à l’écart de la question de la sécurité européenne. Jusqu’au milieu des années 2000, Washington a d’ailleurs suivi de près les initiatives européennes en matière de défense, notamment lorsque Londres a décidé de se rattacher au projet consistant à doter l’Union européenne d’une capacité autonome de défense lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo de décembre 1998, suite à l’expérience du difficile engagement américain dans les Balkans. La secrétaire d’État Madeleine Albright rappelait ainsi le 8 décembre 1998 à ses partenaires européens la règle des « 3D », soit non-découplage, non-duplication et non-discrimination envers les États membres de l’OTAN et non membres de l’Union européenne.
Néanmoins, depuis l’engagement de l’OTAN en Afghanistan (depuis 2003) et en Libye (2011), et la stratégie de pivot des États-Unis vers l’Asie amorcée par le président Obama, l’Alliance atlantique semble davantage sujette à controverse à Washington, au point que Donald Trump l’avait peu après son élection estimée obsolète. S’il a fini par réviser cette position quelques mois plus tard, le président américain n’a cependant eu de cesse depuis le printemps 2017 de critiquer le manque d’investissement financier des États européens dans l’OTAN.
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Dès lors, les dissensions entre États membres (en particulier les États-Unis, la Turquie et la France) observé lors du dernier sommet de l’OTAN en décembre 2019, de même que les critiques du président français à l’égard de l’organisation, visent plus à interroger son avenir qu’à la reléguer au second plan. Au fond, la vindicte de Donald Trump à l’encontre de ses alliés européens insuffisamment dépensiers à ses yeux peut aussi être comprise à la lumière des progrès, depuis 2016 et l’annonce du Brexit, de la politique de défense développée par l’Union européenne et du projet d’armée européenne lancé par le président Macron et la chancelière Merkel en novembre 2018.
La France et l’OTAN : entre défection et prise de parole
La critique du président français à l’égard de l’OTAN rejoint une tradition française à l’égard de l’Alliance impulsée par le général de Gaulle qui décida le 7 mars 1966 de retirer la France du commandement militaire intégré de l’OTAN afin de maintenir l’autonomie de décision stratégique de la France. Pour bien saisir l’évolution de la stratégie politique française à l’égard de l’Alliance, le modèle proposé par l’économiste Albert O. Hirschman est intéressant. Étudiant les services publics, celui-ci conçoit trois possibilités de positionnement au sein d’une organisation : les stratégies de défection (exit), de prise de parole (voice) ou de loyauté (loyalty).
Si entre 1966 et la fin de la guerre froide la stratégie politique de Paris vis-à-vis de l’OTAN a été la défection, Paris a toutefois témoigné d’une forme de loyauté à l’égard de l’Alliance en se positionnant – dès avant la réintégration de la France dans l’ensemble des structures politico-militaires de l’organisation en 2009 – comme l’un de ses principaux contributeurs de troupes dans les Balkans dans les années 1990 puis en Afghanistan à partir de 2003. Aujourd’hui, la France déploie plusieurs centaines d’hommes dans le cadre de la « présence avancée renforcée » (enhanced Forward Presence, eFP) de l’OTAN lancée lors du sommet de l’Alliance à Varsovie en juillet 2016 dans les pays baltes et en Pologne suite à l’annexion de la Crimée par la Russie et au conflit ukrainien.
Le retour complet de la France dans l’OTAN en 2009, après une tentative avortée sous la présidence de Jacques Chirac en 1995, a induit un changement au profit d’une stratégie de prise de parole, permise tant par le retour de la France dans l’ensemble des arènes de discussions otaniennes que par la récupération par Paris de deux commandements importants au sein de l’OTAN : le commandement régional de Lisbonne, qui héberge la Force de réaction rapide, et le commandement ACT de Norfolk, en Virginie, qui pilote la transformation de l’Alliance.
Ce changement de stratégie politique remonte en réalité avant 2009. Dès le début des années 1990, Paris avait tenté de tirer parti de la nécessaire réforme de l’organisation pour faire avancer ses projets de défense européenne dans le cadre de l’UE. Ainsi, en 1990, le sommet de l’Alliance à Rome, les 7-8 novembre 1990, permit pour la première fois la prise en compte de l’affirmation d’une Identité européenne de sécurité et de défense (IESD). Il s’agissait d’un compromis entre la France et l’Alliance, Paris s’inquiétant de voir l’OTAN déborder de son rôle militaire (des discussions étaient en cours sur l’élargissement futur de l’Alliance aux anciens satellites soviétiques). C’est donc à nouveau une stratégie de prise de parole qu’a choisie le président Macron en employant à dessein des termes choquants : son objectif n’est pas tant d’enterrer l’OTAN que d’exhorter ses partenaires à réfléchir à l’avenir de l’organisation et à un meilleur partage des tâches avec la politique européenne de défense si chère à la France.
Si l’ambiance tendue du 70e anniversaire de l’OTAN et le cavalier seul de la Turquie sur le dossier syrien ces dernières semaines peuvent laisser penser que le phénix ne renaîtra pas de ses cendres cette fois, il est utile de se rappeler que tout imparfaite qu’elle soit, l’Alliance atlantique reste le seul forum de dialogue transatlantique sur les questions de sécurité et de défense. Elle conduit d’ailleurs, avec plus ou moins de succès, un dialogue avec la Russie à travers le Conseil OTAN-Russie (COR). C’est un forum sur lequel nombre de pays européens continuent de parier plus que sur une défense européenne réellement autonome, dont l’horizon semble encore lointain…