(La Tribune)
La coopération entre la France et l'Italie dans le naval a-t-elle toujours aussi été fructueuse que ne le suggèrent Paris et Rome pour justifier le rapprochement entre Naval Group et Fincantieri? Pas vraiment si l'on n'en croit l'ancien PDG de Naval Group Patrick Boissier, qui avait été auditionné en mars 2013 sur la conduite des programmes en coopération en présence de Jean-Jacques Bridey, à l'époque rapporteur. Une audition qui vaut aujourd'hui son pesant d'or dans le contexte du rapprochement entre les deux groupes navals européens. Il y a un peu plus de cinq ans maintenant, Patrick Boissier avait affirmé que la France avait "économisé environ 30 millions d'euros, soit 1 % à 1,5 % du coût total du programme" FREMM (frégates multimissions) grâce à la coopération.
L'ancien patron de Naval Group en conclut que "le programme FREMM aurait sans aucun doute pu être mené à bien dans un cadre franco-français, avec des conséquences nulles en termes de délai et infinitésimales en termes de coût". Et de rajouter : "Il est certain que nous n'avons pas affaire à un véritable programme en coopération".
Seulement 15% du programme en commun
Les frégates FREMM ont été commandées par les marines française et italienne, au titre d'un contrat passé entre l'Occar et un consortium industriel réunissant DCNS (devenu Naval Group), pour la France et, pour l'Italie, Orrizonte Sistemi Navali constituée de Fincantieri et Finmeccanica. Selon le rapport d'information sur la conduite des programmes d'armement en coopération réalisé en juillet 2013 par François Cornut-Gentille, Jean Launay et Jean-Jacques Bridey, seulement 15 % des éléments du programme sont communs aux frégates françaises et italiennes et les entreprises, DCNS, du côté français, Orizzonte Sistemi Navali, pour l'Italie travaillent de manière indépendante.
En outre, les deux types de frégates FREMM s'affrontent sur les marchés export. "Nous nous retrouvons désormais en compétition frontale avec l'Italie à l'exportation, puisque nous vendons un matériel qui porte le même nom", avait expliqué l'ancien chef d'état-major de la Marine, l'amiral Édouard Guillaud, auditionné par les rapporteurs.
Seulement 10 % du coût des études mutualisées
L'économie de 30 millions d'euros est dérisoire au regard d'un programme qui est estimé aujourd'hui à 6,4 milliards pour la construction de huit FREMM (contre 8,2 milliards pour 17 FREMM initialement), selon une récente évaluation du ministère des Armées. Soit 800 millions par frégates (contre 482 millions au début du programme). Précisément, il était prévu pour le programme FREMM une conception commune en amont ainsi que l'achat en commun de la turbine, du système de stabilisation, du système de guerre électronique et du sonar. "Ces matériels représentant environ 10 % du coût du navire, l'opération permet d'économiser à peu près 1 million d'euros par bâtiment", avait détaillé Patrick Boissier.
Finalement, "moins de 10 % du coût des études a été mutualisé, ce qui représente une économie apparente de 50 millions d'euros pour chacun des partenaires", avait-il précisé. Toutefois, si l'on tient compte du coût supplémentaire des études spécifiques relatives aux plateformes différentes pour chaque pays, et du surcoût lié à la coordination, "le montant économisé est ramené à une quinzaine de millions d'euros. En définitive, grâce à cette coopération, la France aura donc économisé environ 30 millions d'euros, soit 1 % à 1,5 % du coût total du programme".
"Les FREMM n'ont de commun que leur nom"
Interrogé sur les différences de spécifications entre les frégates françaises et italiennes, Patrick Boissier avait répondu : "À vrai dire, elles sont si nombreuses qu'il serait plus facile de faire la liste des spécifications communes. Les plateformes sont différentes. La vitesse maximale des FREMM françaises et italiennes est différente, ce qui a des conséquences sur la puissance des navires et sur leurs chaînes de propulsion. Les FREMM françaises sont très automatisées - elles embarquent un équipage de 108 marins, détachement hélicoptère compris, soit un personnel deux fois et demi moins nombreux que sur les frégates antiaériennes en service actuellement -, alors que les frégates italiennes ont besoin de 145 marins. Les radars sont différents, de même que les armements choisis. De plus, les frégates italiennes sont équipées d'un canon à l'arrière, contrairement aux nôtres".
"Finalement, les FREMM n'ont de commun que leur nom et quatre équipements (turbine, système de stabilisation, système de guerre électronique et sonar). Même leur silhouette est différente. Malgré cela, par rapport à la complexité des programmes Horizon, la simplification est considérable : nous produisons, en fait, des programmes nationaux avec une coopération pour certains équipements".
Au final, les bénéfices de cette coopération très limitée entre la France et l'Italie sont ont été logiquement réduits. Pour autant, ils restent supérieurs aux faibles surcoûts engendrés. L'honneur est sauf mais...