Pour mieux comprendre l'actualité globale, nationale et internationale sur les mutations de la sécurité
et de la défense, les nouvelles menaces et défis sécuritaires, la cybersécurité et
la cyberdéfense, les enjeux des technologies clés, la protection des données,
les facteurs humains et technologiques.

lundi

Un auditeur s'exprime dans la "Tirbune Libre" de l'Opinion

Tribune libre - article original ici

«Pour une équipe de France de l’industrie de défense». La tribune de Christophe-Alexandre Paillard

« Face aux géants américains du secteur, comme Boeing, Lockheed Martin ou General Dynamics, et même face aux industriels allemands de plus en plus actifs dans le spatial ou l’armement terrestre, l’industrie française doit rassembler ses forces et travailler en pack »

En 2018, les exportations françaises d’armement ont progressé de plus de 30 % par rapport à 2017, à 9,2 milliards d’euros. La France est redevenue le troisième exportateur mondial d’armement, bénéficiant d’importantes vagues de commandes en provenance de ses principaux clients du Moyen-Orient. Ce chiffre élevé a fait l’objet de contestations car le ministère des Armées a comptabilisé en 2018 deux contrats qui n’ont pas encore fait l’objet de versements financiers : la vente à la Belgique de plus de 400 véhicules blindés du groupe Nexter, pour un montant de 1,6 milliard d’euros, et celui de 23 hélicoptères NH90 de transport du groupe Airbus à l’Espagne, pour un montant total de 1,5 milliard d’euros, dont 550 millions pour la partie française.
Ces questions comptables pourraient n’être qu’un détail, mais ces comptages ont aussi une grande importance politique permettant de gagner ou de perdre une à deux places dans le classement mondial et à préciser la position où se trouve vraiment l’industrie française par rapport à ses principaux concurrents, en Europe et dans le monde.
Or, l’industrie française de défense a aujourd’hui besoin d’être rassurée. De fait, la baisse continue ces vingt dernières années des budgets militaires européens a entraîné des modifications substantielles dans le panorama mondial de l’industrie de défense, à l’heure où les Etats-Unis font le forcing pour asseoir leur domination industrielle et technologique sur le camp occidental et où de nombreux pays concurrents, comme la Chine, la Russie ou Israël, s’imposent de plus en plus dans le domaine de la production de matériels militaires de haut niveau, capables de rivaliser avec leurs concurrents occidentaux.
Sans industrie de défense forte, il n’y a ni croissance durable, ni maîtrise des technologies qui sont essentielles à notre prospérité économique
Concurrence européenne. En plus de la concurrence de ces Etats, l’industrie française de défense subit également la concurrence de ses partenaires – et parfois rivaux - européens, à l’exemple de la rivalité industrielle et commerciale entre le Français Naval Group et l’Allemand TKMS dans le domaine naval, ou de celle du franco-germano-espagnol Airbus et de l’italo-britannique Leonardo dans le domaine des hélicoptères.
Face aux géants américains du secteur, comme Boeing, Lockheed Martin ou General Dynamics, et même face aux industriels allemands de plus en plus actifs dans le spatial ou l’armement terrestre, l’industrie française doit rassembler ses forces et travailler en pack. La France est certes riche d’importantes entreprises (Safran, Thales, Nexter, Naval Group ou Dassault…) innovantes et compétitives, mais cette industrie se heurte aussi à une dispersion de ses moyens et, parfois, à des rivalités personnelles. Car sans industrie de défense forte, il n’y a ni croissance durable, ni maîtrise des technologies qui sont essentielles à notre prospérité économique.
Le caractère stratégique de l’industrie de défense doit s’accompagner de la création d’une équipe de France de l’industrie de défense, sans pour autant recourir aux mécanismes parfois stériles des mécanos industriels pouvant conduire à des fusions malheureuses. Exemple emblématique, avec l’avion de combat du futur proposé par Dassault, la France dispose d’un très grand projet fédérateur capable d’entraîner notre industrie. Les Allemands l’ont d’ailleurs bien compris en votant au Bundestag le 6 juin un premier budget pour un projet de système franco-allemand de combat aérien du futur. La balle est dans notre camp.
Christophe-Alexandre Paillard est auditeur à la 67e session « Politique de défense » de l’IHEDN, maître de conférences à Sciences Po Paris. L’auteur s’exprime à titre personnel.