Source : l'Afrique Réelle
En Libye, après six années d’anarchie et de vaines tentatives internationales visant à une imposer l’illusoire solution démocratique, le temps semble être désormais aux armes. Avec une alternative simple : ou la victoire du général Haftar ou la partition.
Les Occidentaux ont rêvé à une réconciliation entre le général Haftar, soutenu par le parlement de Tobrouk et l’artificiel Gouvernement libyen d’union nationale siégeant à Tripoli (le GLUN). Il s’agit là d’une vue de l’esprit. L’accord du 15 décembre 2015 qui a donné naissance au GLUN et qui a été imposé par l’ONU et l’UE ne tient en effet pas compte des véritables forces du pays. C’est ainsi qu’il fait la part belle aux milices islamistes de Tripoli et à celles de Misrata alors qu’il ignore très largement et les réalités tribales, ainsi que la seule force militaire organisée du pays, à savoir l’armée nationale libyenne (ANL) commandée par le général Haftar. Comme l’objectif de ce dernier est de détruire les milices qui entretiennent l’anarchie, ces dernières ne peuvent donc que le combattre. Dans ces conditions, toute politique de réconciliation est vouée à l’échec.
Voilà pourquoi, depuis le début du mois d’avril 2017, et sans que cela ait été remarqué par les médias, au Fezzan, c’est-à-dire dans le sud de la Libye, l’armée nationale libyenne (ANL) commandée par le général Haftar affronte les forces fidèles au GLUN. Cependant, comme ce dernier ne dispose pas d’éléments capables d’affronter l’ANL, ce sont les milices de la ville de Misrata qui sont en première ligne. Militairement, Misrata est soutenue par la Turquie et le Qatar alors que le général Haftar l’est par l’Egypte, les Emirats arabes unis, et dans une certaine mesure, par la Russie. L’offensive du général Haftar a débuté au mois de mars dernier quand ses forces reprirent le croissant pétrolier qui part de Ras Lanouf et qui s’étend jusqu’à Ajdabiya. Son but est d’affaiblir les milices de Misrata qui constituent la seule force capable de s’opposer à l’ANL. La manœuvre de l’ANL qui est claire se lit sur la carte (de la page 3). Elle consiste à progresser par le sud afin d’isoler Misrata puis ensuite Tripoli. C’est pourquoi, après avoir pris Zeila et Brak, elle tente actuellement de s’emparer de la base aérienne de Tamanhint qui est aux mains des milices de Misrata. Or, à Tamanhint se sont repliés les islamistes chassés de Cyrénaïque et qui se sont regroupés sous le nom de «colonnes de Benghazi ». Commandés par Mustapha Charkassi, ce furent ces islamistes qui lancèrent l’opération surprise du mois de mars 2017 qui réussit à reprendre pour quelques heures le croissant pétrolier à l’ANL. La contre-attaque des forces du général Haftar les repoussa vers le grand sud, à Tamanhit, à près de 800 km du littoral où ils furent recueillis par les miliciens de Misrata. L’objectif est important car, si Tamanhint tombait aux mains de l’ANL, Misrata et Tripoli seraient coupés du sud. Voilà pourquoi, de violents combats se déroulent actuellement dans la région de Sebha autour de ces deux points clé que sont Brak et Tamanhint. Le Glun qui a bien compris l’importance de l’enjeu a envoyé en renfort une colonne composée de miliciens islamistes baptisée « 3e force ». Or, comme elles sont favorables au général Haftar, les tribus de la région lui ont demandé de partir. Pour encore compliquer la situation, la région de Mourzouk et de Sebha est le théâtre de vifs affrontements entre Toubou et tribus arabes pour le contrôle du trafic (migrants, drogue, armes, médicaments, etc.).
Si le général Haftar parvenait à prendre le contrôle du Fezzan, et comme il est soutenu par plusieurs tribus de Tripolitaine, il pourrait alors lancer la phase suivante de son offensive. Cette dernière pourrait se faire de deux manières : 1) Soit il tenterait de prendre Tripoli afin de s’installer dans la capitale, ce qui serait une victoire symboliquement importante. Puis, Misrata étant isolée, soit il traiterait avec elle, soit il tenterait de la prendre. 2) Soit, avant de « cueillir » Tripoli, il déciderait de prendre Misrata qui, rappelons-le constitue la seule force militaire en état de lui résister. Dans ce cas, nous assisterions à des combats de haute intensité car, ni la Turquie, ni le Qatar ne seraient disposés à abandonner leur seul allié sérieux dans la région. La prise de Misrata constituerait en effet l’échec de la politique turco-qatarie en Libye.
Quoiqu’il en soit, Misrata ne peut pas laisser se dérouler l’offensive du général Haftar sans tenter de la briser. Si, en définitive, l’ANL était victorieuse, une troisième option pourrait être suivie, celle consistant à ménager Misrata après avoir affaibli ses milices.
Bernard LUGAN
L'AFRIQUE RÉELLE - N°89 - MAI 2017
L'AFRIQUE RÉELLE - N°89 - MAI 2017